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La formation maritime : comment faire pour naviguer ?

Devenir marin, quelle curieuse idée ! Pour tous les estivants qui se pressent chaque année sur le littoral, la mer constitue avant tout un lieu de détente et de loisirs. Cette perception largement dominante fait oublier que ce splendide cadre naturel offre un socle à nul autre pareil afin de s’accomplir professionnellement, tout en s’élevant humainement et socialement.

Une enquête réalisée en 2010 à l’initiative de la région Bretagne avait relevé que les jeunes de 15 à 25 ans entretenaient non seulement une méconnaissance des métiers de la mer, mais ils en gardaient une représentation souvent stéréotypée et négative. Pour 73 % des jeunes interrogés, les métiers liés à la mer se montraient en effet peu ou pas attirants. Pour remédier à ce déficit d’image, plusieurs initiatives ont redonné depuis un peu de visibilité et d’attractivité à ces parcours de vie originaux qui conjuguent le goût de l’engagement et l’appel du large.

Au cœur de la grande variété des métiers qui prospère autour d’une même fascination pour la mer, il y a ceux qui permettent de naviguer. Etre navigant, c’est assurer la bonne conduite d’un navire quelle que soit sa configuration (pêche, commerce, transport de passagers, recherche, défense ou administration maritime), mais aussi la situation qu’il est amené à traverser.

Voyager au long cours ou caboter auprès des côtes ; faire route à la voile ou au moteur ; capturer du poisson et le valoriser ; transférer des marchandises ou des personnes ; surveiller ou protéger le littoral… Les opportunités sont innombrables et souvent bien rétribuées. Elles requièrent néanmoins des compétences bien spécifiques et supposent des précautions à suivre scrupuleusement. Et pour cause : il ne suffit pas d’aimer la mer pour l’apprivoiser. Aussi est-il important de considérer quelques points essentiels avant de répondre à sa vocation maritime…

Luc Percelay, directeur du lycée professionnel maritime d’Etel : « Un très bon niveau d’insertion »

« Les professionnels de la mer, les pêcheurs en particulier, sont des gens de peu de mots. Il a longtemps été difficile pour eux de parler de leur travail. La modernisation du monde maritime les oblige aujourd’hui à se découvrir davantage afin de mieux exister sur cet espace désormais partagé, où les usages se sont multipliés au cours des dernières décennies. Si les pêcheurs exercent une activité fondamentale qui permet encore aujourd’hui de répondre au défi alimentaire partout dans le monde, ils doivent se remettre en question non seulement pour garder leur position historique, mais aussi pour la renforcer. Ils doivent ainsi gagner en compétences pour être en mesure d’intervenir au sein des nouveaux espaces qui se profilent désormais comme les aires marines protégées ou encore les parcs dédiés aux énergies marines renouvelables. La pêche demeure un métier d’avenir, un formidable ascenseur social, et les jeunes s’y trompent de moins en moins. Si nous avons eu du mal à recruter ces dernières années, les vocations se font plus facilement jour depuis quelques temps. Grâce à nos actions de sensibilisation, comme la réalisation et la diffusion de plusieurs petits films documentaires, « Les jeunes et la mer », avec l’appui de la région Bretagne, nos classes font désormais le plein et favorisent ainsi une certaine émulation. Et les armements qui peinaient à trouver de la main d’œuvre sont heureux de pouvoir renouveler leurs équipages. En effet, le niveau d’insertion des diplômés dans le secteur de la pêche est généralement très bon. »

Les aptitudes pour devenir marin

Travailler en mer n’est pas à la portée du premier venu. Certaines « dispositions » sont préférables : il faut cultiver le goût du voyage, de l’évasion et même parfois de l’aventure. Parcourir et découvrir le monde, voilà bien le destin du marin, toujours en quête de liberté. Mais ce qui apparaît comme un privilège ne va pas sans un certain sens de l’initiative mais aussi de la responsabilité. Un bon marin est généralement autonome et rigoureux. Il faut également apprendre à exister et œuvrer en bonne intelligence avec les autres, à bord comme au-delà du même navire. La solidarité des gens de mer n’est pas un vain mot. Elle se développe dans un lieu de travail qui se confond fréquemment avec un espace de vie. Refuge perdu au milieu de l’immensité, un navire introduit invariablement une forme de promiscuité. Manœuvré au rythme intense des quarts et des conditions météo parfois houleuses, il révèle toute la valeur d’un équipage à travers aussi l’éloignement des proches et de la terre ferme. Si les instruments de communication actuels permettent de ne jamais totalement rompre le fil, le danger n’est jamais bien loin. Les situations potentiellement à risque exigent de tout matelot une condition physique optimale qui doit être validée lors d’une visite médicale. Et même s’il s’agit d’une extrémité, savoir nager est également indispensable. Last but not least, un bon apprentissage de la langue anglaise est un passage obligé dans un métier globalisé où se côtoient de nombreuses nationalités et où la réglementation revêt le plus souvent une dimension internationale.

A bord, on différencie plusieurs niveaux de responsabilité :

  • niveau de direction : commandant, chef mécanicien, second ;
  • niveau opérationnel : officier chargé du quart ;
  • niveau d’appui : matelot, mécanicien.

Il convient de souligner que tous les personnels navigants ne sont pas forcément des marins. Certains navires comptent également à leur bord des agents des services généraux (ADSG). Il s’agit le plus souvent de personnels formés dans les écoles hôtelières classiques qui sont ensuite « maritimisés » par les employeurs, essentiellement pour des raisons de sécurité. Leur activité n’étant pas directement liée à l’exploitation du navire, ces personnels embarqués n’ont pas le statut de marins, lequel implique l’affiliation au régime de l’Établissement National des Invalides de la Marine (ENIM).

Marie Bidard, élève de 1ère bac pro au lycée maritime d’Etel : « Un métier où chaque instant est différent »

« Agée de 18 ans et originaire du Croisty, près de Guéméné sur Scorff dans le Morbihan, rien ne me destinait à m’orienter vers la pêche : mon père est maçon et ma mère assistante maternelle. Je désirai seulement depuis toute petite travailler sur l’eau. En débutant avec un bac professionnel conduite et gestion des entreprises maritimes, je ne savais pas trop ce que je désirais faire exactement et c’est un stage d’une semaine à bord de l’Ar Guevelled, un chalutier de 12 mètres basé à Quiberon, qui m’a décidé à suivre la spécialité pêche. Cette expérience embarquée a été une révélation. Mon choix peut surprendre d’autant que certains parents se montrent encore méfiants par rapport à cette profession qui est réputée difficile et dangereuse. C’est vrai que les conditions à bord ne sont pas toujours confortables, surtout pour une jeune femme, mais c’est un travail vraiment intéressant où chaque instant est différent. C’est certainement plus souple et proche de la nature que de simples rotations à effectuer dans la marine marchande. Après mon bac, je sais que je pourrais facilement trouver du travail, mais j’espère bien continuer mes études avec pour commencer un BTS maritime. J’envisage ensuite de me spécialiser dans la recherche océanographique. »

Se préparer à embarquer

Une caractéristique forte de la formation des marins réside dans l’obligation d’alterner des périodes de formation et des périodes de navigation. Seuls les brevets maritimes délivrés par l’Administration des Affaires Maritimes confèrent aux marins des prérogatives, c’est-à-dire le droit d’exercer des fonctions à bord des navires. Chacun de ces niveaux de responsabilités et de tâches correspond à un titre maritime, un certificat ou un diplôme qui est validé par un temps minimum d’embarquement. Associés au service « pont » ou au service « machine », ils dépendent étroitement du type, de la taille et de la puissance de navire.

Il existe par exemple pour les capitaines quatre niveaux de compétence :

  • Capitaine 200 qui permet de commander les navires de jauge inférieure à 200 UMS (moins de 24 mètres environ);
  • Capitaine 500 qui permet de commander les navires de jauge inférieure à 500 UMS ;
  • Capitaine 3 000 qui permet de commander les navires de jauge inférieure à 3 000 UMS ;
  • Capitaine (dit « illimité ») qui permet de commander les navires de jauge supérieure à 3 000 UMS, c’est-à-dire sans limite de taille.

La principale porte d’entrée au métier de marin reste la formation initiale est assurée au niveau de l’enseignement secondaire par les lycées professionnels maritimes (LPM). A l’échelon supérieur, l’Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM) a pour mission de former les officiers de la marine marchande, mais aussi des ingénieurs dans les domaines des activités maritimes.

Chacun peut dès le plus jeune âge se préparer à devenir marin (à la pêche, au commerce ou à la plaisance professionnelle) en suivant une formation CAP de matelot en 2 ans. Il suffit pour cela d’avoir passé la classe de 5ème au collège et être âgé au minimum de 15 ans au 31 décembre de la première année du cursus. On peut également devenir marin en suivant un cursus de bac professionnel après une classe de 3ème :

  • La spécialité Conduite et Gestion des Entreprises Maritimes (CGEM) spécialise le marin aux fonctions du pont avec comme objectif après expérience de devenir capitaine d’un navire.
  • La spécialité Electromécanicien marine (EM) prépare le marin aux fonctions de la machine avec comme objectif après expérience de devenir chef mécanicien.

En 2014, deux brevets de technicien supérieur maritime ont été créés pour compléter l’offre de formation et faciliter l’accès à l’enseignement maritime supérieur. A côté du BTSM « maintenance des systèmes électro-navals », le BTSM « pêche et gestion de l’environnement marin » prépare en deux ans ses candidats à devenir des spécialistes de la règlementation et de l’observation des pêches. Capables de conduire des missions de collecte de paramètres océanographiques, d’étudier et de mettre au point des engins de pêche ou des techniques innovantes, ils seront appelés à participer à la lutte contre les pollutions et à la collecte des macro-déchets, comme à la caractérisation du milieu marin et des espèces océaniques.

L’autre porte d’entrée pour devenir marin est la formation continue. Elle est coordonnée au niveau de la région Bretagne par le Centre européen de formation continue maritime (CEFCM), groupement d’intérêt public fondé en 1998 qui emploie les ressources des quatre lycées maritimes du territoire. Le contenu des enseignements s’y déploie sous formes de modules distincts répondant aux besoins des stagiaires et des armements en matière d’obligations réglementaires mais aussi de compétences spécifiques.

Alain Pomès, directeur du CEFCM : « Revalider ses brevets de navigation tous les 5 ans »

« La réforme de la formation professionnelle introduite en 2016 par l’adoption des standards de la convention STCW (*) bouleverse beaucoup de choses. Elle généralise tout d’abord l’obligation de revalider ses brevets de navigation tous les 5 ans. Elle fait ensuite du certificat de matelot le socle impératif pour l’accès aux autres formations, ce qui exige notamment une formation de base à la sécurité et une période de 6 mois d’embarquement minimum. Si les besoins des armements en personnels qualifiés sont de plus en plus pressants, c’est néanmoins une restriction importante pour les candidats atypiques qui se destinent à devenir marins. On a relevé une forte diminution du nombre de prétendants au titre de Capitaine 200. Le CEFCM a tenté d’y remédier en élargissant les prérogatives de ce cursus polyvalent en intégrant le module de spécialité yacht afin de répondre à la croissance sur ce secteur. Nous travaillons beaucoup par modules spécifiques en particulier pour donner à maîtriser les questions de sûreté comme la prévention incendie ou pour permettre de monter en compétence dans le management d’un navire et de son équipage. »

(*) La convention sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, dite « STCW » (Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers) a été adoptée en 1978 puis amendée en 2010 par l’Organisation maritime internationale.

Les perspectives d’évolution professionnelle

Sur les 20 millions de marins recensés dans le monde, on estime à environ 18 000 leur nombre en France, dont près d’un tiers est concentré sur la seule région Bretagne. Alors que la mer continue de participer à la mondialisation des économies (90% des marchandises transitent par voie maritime), ce vivier est appelé dans les années qui viennent à se consolider davantage. Stratégie à long terme de l’Union européenne visant à soutenir le développement durable dans le secteur maritime, la « croissance bleue » reconnaît que les océans offrent un potentiel considérable en matière d’innovation. Selon l’Union européenne, la « blue economy » représenterait aujourd’hui 5,4 millions d’emplois et une valeur ajoutée brute de près de 500 milliards d’euros par an. Elle entrevoit un puissant essor dans les domaines de l’aquaculture, des biotechnologies, des énergies marines, de l’exploitation des ressources minières et du tourisme.

Pour une activité ancestrale comme la pêche, pour gagner en rentabilité, les navires de pêche de demain tendent à devenir plus sélectifs, plus économes en énergie mais aussi plus sûrs et confortables. Les perspectives de modernisation de l’activité comme la valorisation des coproduits ou encore le pescatourisme offrent des possibilités de diversification des revenus intéressantes.

D’autre part, la forte transversalité des métiers maritimes entretient une forme de perméabilité entre différents secteurs permettant certaines reconversions professionnelles, liées par exemple à un besoin de sédentarisation à terre.

Brieuc Huon, mécanicien au sein de l’armement Arcobreizh : « S’adapter pour mieux avancer »

« Après plusieurs expériences, j’ai décidé à 29 ans de valider mon brevet de mécanicien 750 kW dans le cadre d’une formation rémunérée que m’a proposée mon employeur. C’est une initiative inédite en Bretagne qui a été mise en place par le CEFCM avec le soutien de l’Agefos-PME. Originaire de Guingamp dans les Côtes d’Armor, j’ai toujours cultivé ma passion de la mer. Après un premier brevet en poche, j’ai commencé à naviguer au commerce puis à la pêche. J’ai ensuite passé un bac pro en maintenance des équipements industriels qui m’a permis de rejoindre la Marine nationale à Toulon où je suis devenu mécanicien à bord de l’aviso « Commandant Ducuing ». Ma vie familiale m’a alors rappelé en Bretagne et j’ai intégré il y a peu l’équipage d’un chalutier de 24 mètres basé à Douarnenez, en qualité matelot. J’ai vite compris que je pouvais aspirer à une promotion et lorsque s’est présentée l’opportunité de requalifier mes compétences pour passer chef mécanicien, j’ai sauté dessus. Il faut savoir s’adapter pour mieux avancer. C’est pour moi une manière de réviser les fondamentaux et de prendre un peu de recul sur le métier. Il nous arrive de nous poser des questions sur l’avenir de la pêche, en particulier avec le Brexit. Quoi qu’il arrive, le savoir-faire que je développe ici pourra toujours être utile. »

Dossier et photos réalisés par Bertrand Tardiveau - mars 2017