« Il y a dix ans, la politique commune visait à maintenir les stocks de poisson dans des limites biologiques de sécurité, c’est-à-dire à éviter leur effondrement. La révision en cours entend les rétablir à un niveau permettant leur exploitation maximale durable, selon les engagements des conférences de Johannesbourg et Nagoya. Aujourd’hui, quand on parle de sur-exploitation, il n’y a pas nécessairement risque d’effondrement. En fait, le curseur a monté et notre vision est plus fine.
Dans les eaux communautaires, en 2004, 94 % des stocks étaient sur-exploités, 63 % en 2009 et 57 % en 2011. Les variations de pourcentage rendent compte à la fois de l’évolution de l’état des stocks mais aussi de celle des connaissances. Sur 193 stocks communautaires gérés par l’union, nous disposons pour 90 de diagnostics et de points de référence. 43 % sont au rendement maximal durable, 32 % sont au-delà, dans des limites de précaution, et 24 % sont en insécurité biologique.
Le classement des débarquements de la pêche française en 2010 montre que 16 % des tonnages proviennent de ressources sur-exploitées (notamment le merlu et la sole du golfe de Gascogne), 16 % de ressources bien exploitées (par exemple la sole de Manche-Ouest), 25 % de ressources non-classifiables et 43 % de ressources non-évaluées.
Les « non-classifiables » sont des espèces que nous connaissons mais sans disposer de tous les éléments nécessaires à l’établissement de critères scientifiques de rendement maximal durable. Ce sont notamment la lotte et la langoustine du golfe de Gascogne, qui sont exploitées à un niveau élevé mais dont les stocks sont en augmentation. Les « non-évaluées » sont des espèces sans suivi scientifique, comme la sardine, le bar, le rouget-barbet et les céphalopodes ».
Saint-Brieuc : le bon exemple d’une gestion locale
« Certaines espèces ne sont pas gérées par l’union, mais par la France, comme la coquille saint-Jacques de Saint-Brieuc. Les gestionnaires locaux ont choisi de faire travailler beaucoup de bateaux sur des périodes courtes. Il s’agit là d’une sur-capacité qui ne conduit pas à l’effondrement mais au rendement maximal durable. Ce mode de gestion qui veut partager le travail est un bon exemple, même s’il est à l’inverse du raisonnement de la Commission européenne. »
Rejets : priorité à la sélectivité
« L’idée d’interdire tous rejets en mer et d’imposer leur débarquement n’est pas judicieuse. Ces rejets poseront des problèmes complexes sur les bateaux et les pêcheurs demanderont des subventions et seront tentés de les valoriser. La bonne stratégie, c’est d’encourager les pêcheurs à les réduire par la sélectivité. »
Gestion des données : rapprochement des scientifiques et des pêcheurs
L’Ifremer est l’acteur principal en matière de gestion des données relatives aux stocks de poissons. L’institut rassemble ces données par divers moyens, comme l’embarquement d’observateurs sur les bateaux professionnels, l’échantillonnage des lots de poisson au débarquement, des campagnes en mer menées à partir de navires océanographiques, le recueil des statistiques de pêches. Dans certains cas, les scientifiques et les professionnels pratiquent une collaboration directe. Ainsi, à Lorient, les deux parties pratiquent la co-expertise sur les espèces des grands fonds, les pêcheurs mettant à disposition des scientifiques les données de leurs traits de chalut, 40 000 traits ayant déjà été collectés. De tels rapprochements, s’ils sont pris en compte à Bruxelles, peuvent créer des consensus sur les décisions à venir.
L’Ifremer présente des synthèses au Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM). C’est dans ce cadre que sont émis des avis et des recommandations relatifs à la gestion des stocks de telle espèce sur telle zone. Ces avis peuvent aussi étayer les décisions de l’Union européenne pour l’établissement des quotas de pêche ou l’instauration du concept de rendement maximal durable (RMD).